jeudi 6 juillet 2023

Kundera (roman)

Kundera, L'Art du roman (1986) :

"Le romancier n'est le porte-parole de personne et je vais pousser cette affirmation jusqu'à dire qu'il n'est même pas le porte-parole de ses propres idées. Quand Tolstoï a esquissé la première variante d'Anna Karénine, Anna était une femme très antipathique et sa fin tragique n'était que justifiée et méritée. La version définitive du roman est bien différente, mais je ne crois pas que Tolstoï ait changé entre-temps ses idées morales, je dirais plutôt que, pendant l'écriture, il écoutait une autre voix que celle de sa conviction morale personnelle. Il écoutait ce que j'aimerais appeler la sagesse du roman. Tous les vrais romanciers sont à l'écoute de cette sagesse suprapersonnelle, ce qui explique que les grands romans sont toujours un peu plus intelligents que leurs auteurs. Les romanciers qui sont plus intelligents que leurs œuvres devraient changer de métier."


Cf. H. James sur Maupassant : 

« Les   artistes  de premier plan, à quelque domaine qu'ils touchent, ne sont indubitablement pas ceux qui émettent le plus souvent des idées générales sur leur art, qui sont féconds en préceptes, en justifications, en formules, ni ceux qui peuvent le mieux nous exposer les raisons et la philosophie des choses. Nous reconnaissons généralement les meilleurs à l'énergie de leur pratique, à la constance avec laquelle ils appliquent leurs principes et à la sérénité avec laquelle ils nous laissent rechercher leur secret dans l'illustration, l'exemple concret. […] La doctrine est bien moins portée à être inspirée que l'œuvre, l'œuvre est souvent tellement plus intelligente que la doctrine. »

et

Leys, Antipodes p. 71 : 

"Le seul sens, la seule fonction de la critique littéraire (comme Chesterton l'a dit admirablement) repose sur cette réalité : si l'œuvre est réussie, elle contient bien plus de choses (et des choses différentes) que ce que l'auteur a cru y mettre."