Leiris, Journal 6 juin 1941 :
"Certains s’étonnent, s’indignent – et j’ai été du nombre – de l’attitude des Français dans la défaite : abandon complet, soumission absolue au vainqueur, réaction policière, toutes les formes de la lâcheté. L’on a cette idée mystique qu’après la catastrophe militaire, après être descendu au plus bas, il doit, nécessairement, s’opérer un redressement. L’on va jusqu’à s’imaginer que la défaite pourrait être une salutaire leçon. L’on ne voit pas la vérité, qui est beaucoup plus simple : cette débâcle militaire – et là, tous sont d’accord – fut avant tout le signe d’une profonde décomposition ; il n’y a nulle raison pour que cette décomposition ne persiste pas, postérieurement, à la défaite ; pourquoi une telle défaite – qui n’a pas été un accident mais un signe, et, à proprement parler, une «sanction» – serait-elle le point de départ d’une recomposition ? Il est naturel que l’état de pourriture qui nous a menés là ne soit pas diminué, mais accru, du fait que maintenant nous en sommes là. Les Français n’ont rien fait quand ils avaient quelques armes ; ils feront moins encore maintenant qu’ils n’ont plus rien."