mercredi 11 novembre 2020

Goncourt (mélancolie)

 Goncourt, Journal 7 septembre 1863 : 

« Tous ces jours-ci, mélancolie vague, découragement, paresse, atonie du corps et de l’esprit. Plus grande que jamais cette tristesse du retour qui ressemble à une grande déception. On retrouve sa vie stagnante à la même place. De loin, on rêve je ne sais quoi qui doit vous arriver, un inattendu quelconque, qu’on trouvera chez soi en descendant de fiacre. Et rien… Votre existence n’a pas marché, on a l’impression d’un nageur qui, en mer, ne se sent pas avancer. Il faut renouer ses habitudes, reprendre goût à la platitude de la vie. Des choses autour de moi, que je connais, que j’ai vues et revues cent fois, me vient une insupportable sensation d’insipidité. Je m’ennuie avec les quelques idées monotones et ressassées qui me passent et me repassent dans la tête. 

Et les autres, dont j’attendais des distractions, m’ennuient autant que moi. Ils sont comme je les ai quittés, il ne leur est arrivé rien à eux non plus. Ils ont continué à être. Ils me disent des mots que je leur connais. Ce qu’ils me racontent, je le sais. La poignée de main qu’ils me donnent, ressemble à celles qu’ils m’ont données. Ils n’ont changé de rien, ni de gilet, ni d’esprit, ni de maîtresse, ni de situation. Ils n’ont rien fait d’extraordinaire. Il n’y a pas plus de nouveau en eux qu’en moi. Personne même n’est mort parmi les gens que je connais. Je n’ai pas de chagrin, mais c’est pis que cela. »