Zink, Poésie et conversion au moyen-âge chapitre VI :
« Le berger Caedmon était, bien entendu, illettré. Non seulement il ignorait le latin, nécessaire à la connaissance de l’Écriture sainte, mais encore il était incapable d’une performance pourtant commune de son temps, même chez les plus ignorants, qui était, lors des banquets, de chanter des poèmes dans leur langue en s’accompagnant de la harpe. La petite harpe passait de mains en mains, et chacun chantait à son tour. Mais lorsque le pauvre Caedmon la voyait approcher de sa place, il s’éclipsait et quittait la fête, honteux de ne connaître aucun poème. Un soir où il avait ainsi regagné seul dans la nuit l’étable où il dormait avec ses bêtes, il entendit une voix qui lui ordonnait : « Chante pour moi. » Caedmon s’excusait de ne savoir chanter, mais la voix insistait. - Que dois-je chanter ? finit-il par demander. - Chante le début de toutes choses. Et, dans son sommeil, Caedmon chanta la Genèse. À son réveil, voilà qu’il se souvenait du poème qu’il avait chanté - en anglais, bien sûr, puisqu’il ignorait le latin. Il alla le chanter à l’intendant du domaine, qui le conduisit devant l’abbesse. Et là, on constata que non seulement le poème de Caedmon était très beau et révélait une parfaite maîtrise de la prosodie, mais en outre qu’il était tout à fait orthodoxe et correspondait en effet au récit de la Genèse. Dès lors, des clercs traduisaient à Caedmon des passages de la Bible et il en faisait des poèmes si beaux qu’ils convertissaient, qu’ils rapprochaient de Dieu ceux-là même qui lui en avaient fourni la matière. »