jeudi 16 avril 2020

Biély (urbanisme)


Biély, Petersbourg [1916-1922], traduction Nivat-Catteau, chap. 1 § 'Carrés, parallélépipèdes, cubes' : 
« Apollon Apollonovitch ne voulait pas penser plus loin ; les Îles, les écraser ! Se les assujettir par le métal d’un énorme pont, les transpercer des traits de profondes perspectives !
Le regard rêveur perdu dans cette immensité brumeuse, l’homme d’Etat brusquement déborda du cube noir de son coupé, s’enfla et plana au-dessus de lui ; et il eut envie que le coupé s’envolât en avant, que les avenues volassent à sa rencontre, l’une après l’autre, que la surface sphérique de la planète entière fût enserrée comme dans des anneaux serpentins par les cubes noirâtres des maisons, que la terre tout entière, prise dans l’étau des avenues, dans une course rectiligne et cosmique allât imposer à l’infini sa loi géométrique, que les réseaux d’avenues parallèles, se coupant et se recoupant, multipliant surfaces et cubes s’élargissent en mondes innombrables ; un carré par habitant pour pouvoir…
Hormis la ligne, le carré plus que toutes les autres figures de symétrie savait l’apaiser.
Il lui arrivait de s’adonner longuement à des contemplations d’où la pensée était absente : pyramides, triangles, parallélépipèdes, cubes, trapèzes.
Apollon Apollonovitch jouissait longuement de la quadrangularité des parois, installé au centre de ce cube noir, tendu de satin, parfait : Apollon Apollonovitch était né pour la solitude du reclus ; seul son amour pour la planimétrie étatique le drapait dans cet habit protéiforme qu’impose le fauteuil ministériel.
L’avenue humide et glissante coupa une autre avenue humide à angle droit ; au point d’intersection se dressa un sergent de ville…
Et de nouveau les mêmes maisons, le même flot gris de la foule, le même brouillard jaunâtre.
Mais parallèlement à cette avenue qui fuyait, fuyait une autre avenue avec la même rangée de boîtes, avec les mêmes numéros, avec les mêmes nuages.
Il est une infinité d’avenues fuyantes que coupe une infinité de mirages fuyants. Tout Pétersbourg n’est qu’une avenue infinie élevée à la puissance n.
Au-delà de Pétersbourg, il n’est rien. »


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