Welty (Eudora), Powerhouse, début (1941) trad. Gresset :
« Powerhouse à l'affiche !
Il est en tournée : « Powerhouse et son clavier », « Powerhouse et ses Tasmaniens » - pensez à tous ces noms qu'il se donne ! II n'a pas son pareil au monde. On ne sait même pas ce qu'il est : « nègre ? » - il ressemble davantage à un Asiatique, à un singe, à un Juif, à un Babylonien, à un Péruvien, à un fanatique, à un diable. Il a de grands yeux gris pâle, de lourdes paupières toutes cornées comme peut-être celles d'un lézard, mais ses yeux, quand ils sont ouverts, sont immenses et tout brillants. Il a des pieds africains de la plus grande taille, qui frappent le sol en même temps de chaque côté des pédales. Il n'est pas noir comme du charbon - plutôt café au lait - et, quand sa bouche est fermée, il a l'air d'un pasteur, mais, quand elle s'ouvre, elle est immense et indécente. Et elle n'arrête pas de remuer comme celle d'un singe qui cherche quelque chose. Quand il improvise et qu'il trouve une mélodie légère, enfantine - smooch - c'est avec sa bouche qu'il la savoure.
Comment peut-il être ce qu'il est ? Quand on le voit jouer, c'est cette question qu'on se pose. Vous savez bien, ces gens qu'on voit sur une scène - des gens à la peau plus sombre que la nôtre -, ils sont si souvent merveilleux, effrayants !
Voici un air de danse blanc. Powerhouse n'est pas un exhibitionniste comme les gars de Harlem, il n’est pas soûl, il n'est pas fou, - il est en transe ; c'est un être de joie, un fanatique. Il écoute autant qu'il joue, avec au visage une expression de ravissement, à la fois hideux et puissant. De grands sourcils arqués qui n'arrêtent pas de voyager - comme ceux d'un Juif-, des sourcils de Juif errant. Quand il joue, il martèle tellement le piano et le tabouret qu'il les use en un rien de temps. Il est toujours en mouvement - quoi de plus indécent ? Le voici avec son énorme tête, son gros ventre, ses jambes courtes et rondes comme des pistons, et ses gros doigts boudinés, robustes et jaunes - au repos, ils sont grands comme des bananes. Naturellement, vous savez comment sonne son piano - vous l'avez entendu jouer sur disque - mais ça n'empêche : il faut le voir. Il bouge sans arrêt, comme on patine sur une patinoire ou comme on rame dans un bateau. Ça attire tout le monde, ici, dans cette salle sans ombre, à charpente métallique […] »
Powerhouse is playing!
He's here on tour from the city--"Powerhouse and His Keyboard"--"Powerhouse and His Tasmanians"--think of the things he calls himself! There's no one in the world like him. You can't tell what he is. "Negro man"?--he looks more Asiatic, monkey, Jewish, Babylonian, Peruvian, fanatic, devil. He has pale gray eyes, heavy lids, maybe horny like a lizard's, but big glowing eyes when they're open. He has African feet of the greatest size, stomping, both together, on each side of the pedals. He's not coal black--beverage colored--looks like a preacher when his mouth is going every minute: like a monkey's when it looks for something. Improvising, coming on a light and childish melody--smooch--he loves it with his mouth.
Is it possible that he could be this! When you have him there performing for you, that's what you feel. You know people on a stage--and people of a darker race--so likely to be marvelous, frightening.
This is a white dance. Powerhouse is not a show-off like the Harlem boys, not drunk, not crazy--he's in a trance; he's a person of joy, a fanatic. He listens as much as he performs, a look of hideous, powerful rapture on his face. When he plays he beats down piano and seat and wears them away. He is in motion every moment--what could be more obscene? There he is with his great head, fat stomach, and little round piston legs, and long yellow-sectioned strong big fingers, at rest about the size of bananas. Of course you know how he sounds--you've heard him on records--but still you need to see him. He's going all the time, like skating around the skating rink or rowing a boat. It makes everybody crowd around, here in this shadowless steel-trussed hall [...]