samedi 14 mars 2020

Aymé (dimanche)


Aymé, La Jument verte, chap. XI : 
« […] Le dimanche était jour de trêve dans la maison d’Honoré comme sur toute la campagne, une grande syncope des habitudes de la vie quotidienne. La plaine des labours et des prés perdait pour un jour une certaine unité de vie que les hommes au travail, les appels aux bêtes, le murmure de l’effort, l’arroi des attelages lui prêtaient dans la semaine. Quand Honoré poussait la charrue dans son champ, il n’avait qu’à lever la tête pour voir, labourant, les autres hommes du village, qui multipliaient son image jusqu’au loin, et il éprouvait un sentiment de sécurité à être ainsi associé dans le grand effort de la terre. Le dimanche, la vie se disloquait ; les habitants regardaient la plaine de l’intérieur des maisons et n’y voyaient plus que leurs propriétés, leurs prés clos. Le jour du Seigneur était le jour du propriétaire, et ceux qui n’avaient rien n’en menaient pas large ; un jour de comptabilité où l’on était toujours un peu effrayé des dépenses qu’on avait faites ; jour d’avarice et de retraite où l’on n’avait envie de donner ni à l’amour ni à l’amitié. Il y avait aussi les habits du dimanche qui ne mettaient pas à l’aise pour faire l’amour ou pour en parler. Chacun mourait un peu du lourd désespoir dominical qui menaçait la campagne vide. »