jeudi 12 mars 2020

Bost (Pierre) (peinture)


Bost (Pierre), Monsieur Ladmiral va bientôt mourir, Gallimard, L’imaginaire p. 22-25 : 
« J’ai eu un tort, disait-il, c'est de manquer de courage. Mais à part ça, ce n'est pas tout à fait ma faute si je n'ai pas fait de meilleure peinture. Que voulez-vous ? J'ai peint comme on peignait de mon temps ; comme on m'avait appris à peindre. Je croyais à mes maîtres, on nous avait tellement seriné la tradition, les règles, les ancêtres, la fidélité, et que la vraie liberté suppose d'abord l'obéissance ; et que la vraie personnalité se trouve dans la discipline ; et tout le reste. Moi, j'y ai cru, je trouvais ça bien. Et puis, à mesure que j'apprenais, que j'imitais, que j'écoutais, comme j'étais très doué, le métier entrait, et je me suis aperçu un beau jour qu'il avait pris toute la place. Cette fameuse originalité, qui doit récompenser à la fin celui qui a su d'abord se plier aux règles, je ne la voyais toujours pas venir. J'étais tombé dans le piège, quoi ! Ou alors, je la voyais bien, l'originalité, mais chez les autres, et ça, c'était le plus décourageant ; je me rappelle très bien tous ces remous autour des peintres, comment dire ?... de l'autre bord, qui ne voulaient rien faire comme tout le monde, qui essayaient d'inventer du nouveau, si on veut ; en tout cas, du pas comme les autres... 
[…] Je me disais que si ces gens-là avaient trouvé leur personnalité – ça, on ne pouvait pas dire le contraire – ça m'avançait bien, moi ! S'il fallait me mettre à imiter l'originalité des autres, ça ne me donnerait toujours pas la mienne. Alors, autant valait continuer à suivre mes maîtres et mes habitudes, puisque j'avais commencé. C'est dommage, ça m'aurait intéressé… »