Tesson (Sylvain), La Ligne (in Le téléphérique et autres nouvelles) :
« La nuit, tout est plus long. Pas de paysage pour se désennuyer. L'effort de la marche s'augmente de l'inexistence des repères. L'impossibilité de tronçonner la distance à abattre décourage les plus vaillants. À la lumière, le marcheur se fixe des objectifs, prend ses amers, se replie en lui-même en attendant d'atteindre son point de visée, puis en détermine un autre et renouvelle l'opération jusqu'à la halte. Mais dans le noir, on erre. La nuit, cette mangrove aspire la volonté. Alors, pour marcher, il faut une sacrée raison : les flics au cul, un rendez-vous d'amour. Ou bien une vie intérieure à l'image de ces tarés dostoïevskiens, starets de monastères et fols en Christ qui pérégrinaient dans la noirceur pour la mortification des pieds et le salut de l’âme. Si l'on n'a pas de pensées où plonger, la marche sous les constellations est un interminable calvaire. »