dimanche 8 septembre 2019

Alain + Balzac + Bouvier (villes)


Alain : Lion premier, Propos, Pléiade, t. 1 pp. 5-6 :
"Lion premier, empereur et roi, planta sa lance sur le plateau, et dit : 'Là sera une ville, et elle sera appelée Lionville.' Alors vinrent des terrassiers et des maçons. L'on traça des rues et de larges places, et l'on commença à bâtir le palais du gouvernement.
La première pierre fut scellée par la reine avec une mignonne truelle d'or. On fit des prières aux dieux. Sur une estrade, ornée de velours rouge à frange d'or, décoration qui était nouvelle en ce temps-là, des académiciens lurent des discours ennuyeux, qui ont été imités bien des fois depuis. Mais comme ces discours célébraient les vertus de Lion I°, Lion I° ne s'ennuyait point. 
Cependant beaucoup d'ouvriers et de marchands, venus à leur suite, commencèrent à bâtir des maisons pour leur propre usage. L'un d'eux, ayant creusé un puits un peu plus loin, hors de l'enceinte tracée par les architectes, trouva une eau saine et agréable à boire. D'autres creusèrent autour de sa maison après avoir sondé ; la nappe souterraine s'écartait de la ville ; bâtisses et jardins suivirent l'eau ; et une foule de petites maisons blanches et rouges dessinèrent sur la verdure la nappe d'eau autrefois invisible. En vain l'autre ville allongeait ses rues autour des fondations du palais : les maisons n'y poussaient pas.
Alors le roi Lion I° reprit sa lance, et vint la planter au milieu des maisons blanches et rouges, montrant ainsi qu'il était un sage et puissant roi. Et ce simple acte était bien mieux cette fois qu'une prière aux dieux : c'était un hommage à la Nature.
Car les villes ne poussent point selon la volonté des conquérants. Elles suivent l'eau, comme fait la mousse des arbres.  (8 juillet 1906)


Balzac, Les Illusions perdues, 1° partie, Bouquins p. 256 :
Angoulême est une vieille ville, bâtie au sommet d’une roche en pain de sucre qui domine les prairies où se roule la Charente. Ce rocher tient vers le Périgord à une longue colline qu’il termine brusquement sur la route de Paris à Bordeaux, en formant une sorte de promontoire dessiné par trois pittoresques vallées.
L’importance qu’avait cette ville au temps des guerres religieuses est attestée par ses remparts, par ses portes et par les restes d’une forteresse assise sur le piton du rocher. Sa situation en faisait jadis un point stratégique également précieux aux catholiques et aux calvinistes ; mais sa force d’autrefois constitue sa faiblesse aujourd’hui : en l’empêchant de s’étaler sur la Charente, ses remparts et la pente trop rapide du rocher l’ont condamnée à la plus funeste immobilité. Vers le temps où cette histoire s’y passa, le Gouvernement essayait de pousser la ville vers le Périgord en bâtissant le long de la colline le palais de la préfecture, une école de marine, des établissements militaires, en préparant des routes.
Mais le Commerce avait pris les devants ailleurs. Depuis longtemps le bourg de l’Houmeau s’était agrandi comme une couche de champignons au pied du rocher et sur les bords de la rivière, le long de laquelle passe la grande route de Paris à Bordeaux. Personne n’ignore la célébrité des papeteries d’Angoulême, qui, depuis trois siècles, s’étaient forcément établies sur la Charente et sur ses affluents où elles trouvèrent des chutes d’eau.
L’État avait fondé à Ruelle sa plus considérable fonderie de canons pour la marine. Le roulage, la poste, les auberges, le charronnage, les entreprises de voitures publiques, toutes les industries qui vivent par la route et par la rivière, se groupèrent au bas d’Angoulême pour éviter les difficultés que présentent ses abords. Naturellement les tanneries, les blanchisseries, tous les commerces aquatiques restèrent à la portée de la Charente ; puis les magasins d’eaux-de-vie, les dépôts de toutes les matières premières voiturées par la rivière, enfin tout le transit borda la Charente de ses établissements.

Bouvier, L’Usage du monde, chap. 2 : 
« Vers l’ouest, le long de la route de Zemoun, Novi-Beograd élevait au-dessus d’une mer de chardons les fondations d’une cité satellite que le gouvernement avait voulu bâtir, malgré l’avis des géologues, sur un sol mal drainé. Mais une autorité - même auguste - ne prévaut pas contre un terrain spongieux et Novi-Beograd, au lieu de sortir de terre, persistait à s’y enfoncer. Abandonnée depuis deux ans, elle dressait entre la grande campagne et nous ses fausses fenêtres et ses poutrelles tordues où perchaient les hiboux.  »

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