Nabokov, Le Don chap. 2, (trad. Raymond Girard révisée par René Alladaye) Pléiade 2-187-188 :
« […] dans une rue tranquille […] il y avait, […] une remarquable clôture fabriquée au moyen d'une autre démontée ailleurs (peut-être dans une autre ville) et qui avait auparavant enceint le camp d'un cirque ambulant ; mais, à présent, les planches avaient été placées n'importe comment, comme si elles avaient été clouées ensemble par un aveugle, de telle sorte que les animaux de cirque qui avaient été peints sur ces planches autrefois, et qui avaient été mélangés en cours de route, étaient démantelés et que seuls subsistaient les éléments épars qui les composaient — ici, une jambe de zèbre, là, le dos d'un tigre ; et l'arrière-train d'un animal apparaissait à côté de la patte renversée d'une autre créature : la promesse d'une vie à venir avait été tenue pour la clôture, mais l'abolition des images terrestres qui s'y trouvaient détruisait la valeur terrestre de l'immortalité ; la nuit, cependant, on ne pouvait distinguer que peu de chose, tandis que les ombres démesurément grandes des feuilles (il y avait un réverbère à proximité) reposaient assez logiquement sur les planches, en ordre parfait — c'était là une sorte de compensation, d'autant plus qu'il était impossible de les transférer en un autre endroit, avec les planches, après avoir fragmenté et mélangé les éléments du dessin : elles ne pouvaient être transférées qu'ensemble, in toto, avec la nuit tout entière. »
« there was, [...] a remarkable fence made out of another one which had been dismantled somewhere else (perhaps in another town) and which had previously surrounded the camp of a wandering circus, but the boards had now been placed in senseless order, as if nailed together by a blind man, so that the circus beasts once painted on them, and reshuffled during transit, had disintegrated into their component parts—here there was the leg of a zebra, there a tiger’s back, and some animal’s haunch appeared next to another creature’s reversed paw: life’s promise of a life to come had been kept with respect to the fence, but the rupture of the earthly images on it destroyed the earthly value of immortality ; at night, however, little could be made out of it, while the exaggerated shadows of the leaves (nearby there was a streetlight) lay on the boards quite logically, in perfect order—this served as a kind of compensation, the more so since it was impossible to transfer them to another place, with the boards, having broken up and mixed the pattern: they could only be transferred in toto, together with the whole night. »