Fromentin, Un été dans le Sahara (1857) Pléiade p. 40-41 :
« Le premier aspect d'un pays désert m'avait plongé dans un singulier abattement. Ce n'était pas l'impression d'un beau pays frappé de mort et condamné par le soleil à demeurer stérile ; ce n'était plus le squelette osseux de Boghari, effrayant, bizarre mais bien construit ; c'était une grande chose sans forme, presque sans couleur, le rien, le vide, et comme un oubli du bon Dieu ; des lignes fuyantes, des ondulations indécises ; derrière, au-delà, partout, la même couverture d'un vert pâle étendue sur la terre. Et là-dessus, un ciel balayé, brouillé, soucieux, plein de pâleurs fades, d'où le soleil se retirait sans pompe et comme avec de froids sourires. Seul, au milieu du silence profond, un vent doux qui nous amenait lentement un orage, formait de légers murmures autour des joncs du marais. Je passai une heure entière, couché près de la source, à regarder ce pays pâle, ce soleil pâle ; à écouter ce vent si doux et si triste. La nuit qui tombait n'augmenta ni la solitude, ni l'abandon, ni l'inexprimable désolation de ce lieu.»
« Le premier aspect d'un pays désert m'avait plongé dans un singulier abattement. Ce n'était pas l'impression d'un beau pays frappé de mort et condamné par le soleil à demeurer stérile ; ce n'était plus le squelette osseux de Boghari, effrayant, bizarre mais bien construit ; c'était une grande chose sans forme, presque sans couleur, le rien, le vide, et comme un oubli du bon Dieu ; des lignes fuyantes, des ondulations indécises ; derrière, au-delà, partout, la même couverture d'un vert pâle étendue sur la terre. Et là-dessus, un ciel balayé, brouillé, soucieux, plein de pâleurs fades, d'où le soleil se retirait sans pompe et comme avec de froids sourires. Seul, au milieu du silence profond, un vent doux qui nous amenait lentement un orage, formait de légers murmures autour des joncs du marais. Je passai une heure entière, couché près de la source, à regarder ce pays pâle, ce soleil pâle ; à écouter ce vent si doux et si triste. La nuit qui tombait n'augmenta ni la solitude, ni l'abandon, ni l'inexprimable désolation de ce lieu.»
Gautier juge que c’est là une « belle page mélancolique »
Commentaire de Thibaudet (Intérieurs) :
« On voit la différence qui existe dans l’art du paysage entre l’état d’âme à la Chateaubriand et l’état d’âme à la Fromentin : le premier romantique et tendu, rare et noble, le second réaliste, précis, quotidien. On retrouve devant les visions d’Algérie l’analyste de Dominique. On sent dans cette page, comme dans presque toute l’œuvre de Fromentin voyageur, que cette tête lucide et pratique a devant son impression et son souvenir le souci de les représenter justement, dans leur extérieur et leur intérieur. Il s’agit ici de donner à la fois la sensation, le sentiment, l’idée de la terre vue sous un aspect d’évanescence, comme de l’être diminué qui reflue vers le néant. Le paysage est d’abord construit ou plutôt détruit par le jeu de quelques lignes qui semblent tirées d’un album de croquis ; puis toute son âme confondue avec celle de l’artiste s’incorpore au ciel spacieux : ce ciel soucieux, aux pâleurs fades, d’où le soleil se retire avec de froids sourires, tient dans la page la même place que le mot « sérieux » dans le passage qui précède. Sur ces images le paysage tourne du monde de la plastique au monde des sons, à une musique sensible qui dessine extérieurement une musique intérieure. La dernière phrase est d’une poésie retenue et parfaite. Cette phrase, si le dix-septième siècle avait eu un grand descriptif, un La Fontaine de la prose, il l’eût trouvée."