Heine, Lettres confidentielles II, Gazette musicale de Paris, n° 5, le 4 février 1838 :
« C’était au Conservatoire et l’on y exécutait une grande symphonie de sa composition, bizarre œuvre de ténèbres, éclairée de loin en loin par une robe de femme d'un blanc sentimental qu'on y voit flotter çà et là, ou par un éclair sulfureux d'ironie. L'une des meilleures parties, celle du moins qui m'a frappé le plus, est un sabbat de sorciers où le diable chante la messe, où la musique de l'église catholique est parodiée avec la plus horrible, la plus sanglante bouffonnerie. C’est une farce où tous les serpents que nous portons cachés dans le cœur se redressent en sifflant de plaisir, et se mordent la queue dans l'emportement de leur joie. Mon voisin dans la loge, jeune homme communicatif, me montra l’auteur qui était au fond de l'orchestre et jouait les timbales : c'est là son instrument. ‘’Voyez-vous dans l'avant-scène, continua mon voisin, cette belle Anglaise? c’est Miss Smithson, que les actrices françaises ont tant imitée. M. Berlioz est depuis trois ans amoureux-fou de cette dame, et c'est à cette passion que nous devons la sauvage symphonie que nous entendons aujourd'hui.’’ Je vis en effet à l'avant-scène la célèbre actrice de Covent Garden. Berlioz ne se cachait pas pour regarder sans cesse de son côté, et chaque fois qu'il rencontrait ses yeux, il frappait les timbales comme dans un mouvement de rage. Miss Smithson est depuis devenue madame Berlioz, et son mari s'est fait couper les cheveux. Quand, l'hiver dernier, j'entendis exécuter de nouveau sa symphonie, je le vis encore au fond de l'orchestre, à sa place près des timbales ; la belle Anglaise était encore à l'avant-scène, leurs regards se rencontrèrent encore, mais il ne frappa plus avec autant de rage sur les timbales. »