vendredi 6 septembre 2019

Huxley (fiction)


Huxley, Le génie et la déesse (trad. Castier modifiée) : 
« - L'ennui avec la fiction* dit John Rivers, c'est qu'elle constitue un tout trop cohérent. La réalité ne fait jamais un tout cohérent.
- Jamais ? fis-je, d'un ton de doute.
- Peut-être, du point de vue de Dieu, concéda-t-il. Jamais, du nôtre. La fiction a de l'unité, la fiction a du style. Les faits ne possèdent ni l'une, ni l'autre. Dans la nature brute, l'existence, c'est toujours “une sacrée chose après une autre”, et chacune de ces sacrées choses est simultanément Thurber et Michel-Ange, simultanément Mickey Spillane [et Maxwell**] et Thomas a Kempis. Le critère de la réalité, c'est son décousu intrinsèque.
Et lorsque je demandai : “ Par rapport à quoi ? ” il agita une main brune et carrée dans la direction des rayons chargés de livres.
- Par rapport à ce qui a été Pensé et Dit de Meilleur, déclama-t-il avec une feinte solennité. Puis : Chose curieuse, celles qui sont le plus proches de la réalité, ce sont toujours les fictions qui sont censées être les moins vraies. […]
 Il se pencha en arrière et toucha le dos d'un exemplaire délabré des Frères Karamazoff : "Il y a là tellement d'incohérence, que c'en est presque vrai" […] Peut-être la réalité totale manque-telle toujours trop de dignité pour être enregistrée, peut-être manque-t-elle par trop de sens, ou est-elle trop horrible, pour qu'on la laisse non-romancée. »

* Le traducteur commençait par : "Le chiendent avec la littérature d'imagination..."
** Le traducteur oublie Maxwell.

"The trouble with fiction," said John Rivers, "is that it makes too much sense. Reality never makes sense."
"Never?" I questioned.
"Maybe from God's point of view," he conceded.
"Never from ours. Fiction has unity, fiction has style. Facts possess neither. In the raw, existence is always one damned thing after another, and each of the damned things is simultaneously Thurber and Michelangelo, simultaneously Mickey Spillane and Maxwell and Thomas à Kempis. The criterion of reality is its intrinsic irrelevance." And when I asked, "To what?" he waved a square brown hand in the direction of the bookshelves. "To the Best that has been Thought and Said," he declaimed with mock portentousness. And then, "Oddly enough, the closest to reality are always the fictions that are supposed to be the least true." He leaned over and touched the back of a battered copy of The Brothers Karamazov. It makes so little sense that it’s almost real. […] Maybe the total reality is always too undignified to be recorded, too senseless or too horrible to be left unfictionalized.