Claudel, La Peinture hollandaise :
« Une peinture de Viel, de Vermeer, de Pieter de Hooch, nous ne la regardons pas, nous ne la caressons pas une minute, d'un clignement d'yeux supérieur : immédiatement nous sommes dedans, nous l'habitons. Nous sommes pris. Nous sommes contenus par elle. Nous en ressentons la forme sur nous comme un vêtement. Nous nous imprégnons de cette atmosphère qu'elle enclôt. […] Quelle différence avec certains tableaux modernes qui, on le sent, s'ils n'étaient contenus par le cadre, feraient explosion et se sauveraient de tous côtés comme de la limonade gazeuse ! Ces miroirs plans ou courbes qui détournent et transposent à notre usage les spectacles du jardin et de la rue, ces verreries sur la table qui se figent ou se dégèlent, ces carreaux irisés qui se peignent mystérieusement sur la panse d'une bouteille ou sur la convexité impalpable d'un ballon de verre, leur persistance sur la toile nous permet seule en eux de distinguer l'image de la pensée qui se referme sur ses possessions.
Nous avancions tout à l'heure que le paysage hollandais a toujours une direction : plus sûrement encore dirions-nous que la composition de ces intérieurs a un centre, un centre de gravité, un foyer. Et c'est précisément l'inanité apparente du motif qui le localise […]. »