mercredi 1 mars 2023

Dutourd (novateurs)

Dutourd, Domaine public p. 257 (§ sur Restif) : 

"[…] les vrais novateurs [...] ne perdent pas leur temps en subtiles alchimies verbales mais, placés devant une réalité énorme, inexplorée avant eux, affolés à l'idée qu'ils sont les seuls à la voir et qu'ils n'auront pas trop de leur vie entière pour la décrire, se servent du vieil instrument du langage sans s'interroger sur lui. C'est à cette indifférence au style qu'on reconnaît les créateurs exceptionnels. Indifférence récompensée, car leur abondance, leur vitesse, la solidité que le travail incessant donne à leur pensée, leur habitude enracinée de se mettre coûte que coûte à l'ouvrage, "génie ou pas", la facilité qu'ils acquièrent dans ce labeur haletant leur apportent le plus beau des styles, c'est-à-dire celui qui tire sa puissance de son appropriation et de son utilité. À ce style-là, on pardonne tout : les négligences, les longueurs, les ellipses, les naïvetés, jusqu'aux balourdises, car il est constamment traversé d'éclairs et il est entraîné dans un formidable mouvement vital. A cet égard, oui, Restif ressemble à Balzac. Mais il ressemble de la même façon aux deux autres forcenés de notre littérature : Proust et Saint-Simon."