Zola, L'Assommoir chapitre XII :
"Que d’embêtements ! À quoi bon se mettre dans tous ses états et se turlupiner la cervelle ? Si elle avait pu pioncer au moins ! Mais sa pétaudière de cambuse lui trottait par la tête. M. Marescot, le propriétaire, était venu lui-même, la veille, leur dire qu’il les expulserait, s’ils n’avaient pas payé les deux termes arriérés dans les huit jours. Eh bien ! il les expulserait, ils ne seraient certainement pas plus mal sur le pavé ! Voyez-vous ce sagouin avec son pardessus et ses gants de laine, qui montait leur parler des termes, comme s’ils avaient eu un boursicot caché quelque part ! Nom d’un chien ! au lieu de se serrer le gaviot, elle aurait commencé par se coller quelque chose dans les badigoinces ! Vrai, elle le trouvait trop rossard, cet entripaillé, elle l’avait où vous savez, et profondément encore ! C’était comme sa bête brute de Coupeau, qui ne pouvait plus rentrer sans lui tomber sur le casaquin : elle le mettait dans le même endroit que le propriétaire. À cette heure, son endroit devait être bigrement large, car elle y envoyait tout le monde, tant elle aurait voulu se débarrasser du monde et de la vie. Elle devenait un vrai grenier à coups de poing. Coupeau avait un gourdin qu’il appelait son éventail à bourrique ; et il éventait la bourgeoise, fallait voir ! des suées abominables, dont elle sortait en nage. Elle, pas trop bonne non plus, mordait et griffait. Alors, on se trépignait dans la chambre vide, des peignées à se faire passer le goût du pain. Mais elle finissait par se ficher des dégelées comme du reste. Coupeau pouvait faire la Saint-Lundi des semaines entières, tirer des bordées qui duraient des mois, rentrer fou de boisson et vouloir la réguiser*, elle s’était habituée, elle le trouvait tannant, pas davantage. Et c’était ces jours-là qu’elle l’avait dans le derrière. Oui, dans le derrière, son cochon d’homme ! dans le derrière, les Lorilleux, les Boche et les Poisson ! dans le derrière, le quartier qui la méprisait ! Tout Paris y entrait, et elle l’y enfonçait d’une tape, avec un geste de suprême indifférence, heureuse et vengée pourtant de le fourrer là."
* Dévaliser, ruiner, condamner à mort, évincer.
Wikipédia : Le discours indirect libre
Sa particularité est de ne pas utiliser de verbe introducteur (parler, dire, demander ou interroger, chuchoter, exprimer...), autrement dit, la proposition subordonnée contenant l'énoncé cité se retrouve privée de proposition principale : en conséquence, l'énoncé cité devient une proposition indépendante. C'est la transcription des paroles prononcées, écrites ou pensées, mais sans les embrayeurs du discours citant, et avec une modification du temps des verbes (passage au passé le plus souvent). De même, le locuteur n'est pas identifié de façon explicite.
Les voix du personnage et celle du narrateur « s'enchevêtrent », de sorte qu'on ne sache jamais parfaitement si c'est le narrateur ou le personnage qui parle (on parle d'ailleurs à ce propos de « superpositions de voix », ou encore, de « polyphonie »). Néanmoins, le discours indirect libre n'est pas introduit à l'aide de ponctuation, ce qui a pour effet la fluidité du récit et des voix.