Céline, Voyage au bout de la nuit :
"Chaque fois, au départ, pour se mettre à la cadence, il leur faut du temps aux canotiers. La dispute. Un bout de pale à l’eau d’abord et puis deux ou trois hurlements cadencés et la forêt qui répond, des remous, ça glisse, deux rames, puis trois, on se cherche encore, des vagues, des bafouillages, un regard en arrière vous ramène à la mer qui s’aplatit là-bas, s’éloigne et devant soi la longue étendue lisse contre laquelle on s’en va labourant [...]."
Simenon, Le Coup de lune, chapitre X, début :
"Un nègre aux dents gâtées prononçait avec volubilité une trentaine de mots. Au moment où toutes les pagaies étaient levées, il se taisait soudain et il y avait un temps d'arrêt dans la vie de la pirogue, qui ne vibrait plus.
Alors, douze voix répondaient au récitant, modulaient une mélopée vigoureuse tandis que les pagaies, par deux fois, plongeaient dans l'eau.
À nouveau le petit homme reprenait en fausset.
Le rythme était de deux coups de pagaie, exactement. Il y avait toujours le même temps d'arrêt, puis la même fureur dans la reprise du chœur.
C'était peut-être la cinq centième fois que se répétait cet exercice et Timar, le cou tendu, les paupières plissées. attendait le moment où le soliste allait psalmodier pour distinguer les syllabes. Or il constatait que depuis près d'une heure le nègre prononçait les mêmes mots ! C'est à peine si un mot ou deux changeait. Le petit homme récitait avec indifférence, mais sur le visage de ses compagnons passaient des expressions diverses selon les couplets. On les voyait rire, s'étonner ou sourire ou s'émouvoir.
Et toujours, au moment où les douze pagaies sculptées étaient suspendues dans l'air, les douze voix éclataient avec énergie."
Verneuil (Victor), L'Art musical au Sénégal, cité par Combarieu (La Musique, ses lois son évolution) p. 146 :
"Qu'on se figure cent nègres nageant autour du navire ensablé et chantant cet air ; à la huitième mesure, ils plongent tous à la fois, continuent de suivre mentalement la musique au fond de la mer ; à la douzième mesure, ils poussent le navire ensemble, et à la seizième, ils remontent sur l'eau. Ils agissent ainsi tous de concert, et aucun de leurs efforts n'est perdu."