lundi 8 février 2021

Giono (parc)

 Giono, Le Moulin de Pologne chapitre V :  

« Trois valets escortaient la compagnie avec des flambeaux de très grand apparat. [...] Sous cette lumière voletante le parc perdait ses frontières et paraissait occuper tout l’espace de la nuit noire. À chaque instant il découvrait des richesses inouïes qui, serties d’ombres, étincelaient d’un éclat incomparable. Des brasiers de roses pourpres à odeur de musc se mettaient à flamber sur notre passage. La fraîcheur du soir exaltait le parfum de pêche des rosiers blancs. À nos pieds, les tapis d’anémones, de renoncules, de pavots et d’iris élargissaient des dessins sinon tout à fait compréhensibles, en tout cas magiques, maintenant que la lumière rousse des flambeaux confondant les bleus et les rouges les faisait jouer en masses sombres au milieu des jaunes, des blancs et des verdures dont le luisant paraissait gris. J’ai ainsi vu moi-même des sortes d’animaux fantastiques : des léviathans de lilas d’Espagne, des mammouths de fuchsias et de pois de senteur, toutes les bêtes d’un blason inimaginable. Au-dessus de nos têtes, les sycomores balançaient des palmes, les acacias croulants de fleurs inclinaient vers nous les fontaines d’un parfum plus enivrant qu’un vin de miel. Un froissement étouffé mais plus fort que le craquement du gravier sous nos bottines et qui parcourait les buissons me faisait imaginer comme une escorte de grands chiens souples autour de nous.  »