mardi 8 décembre 2020

Genevoix (harfang)

 Genevoix, Le Bestiaire enchanté (chapitre La coccinelle) :

"C’est à travers mon sommeil que je perçus d’abord la naissance, haut dans le ciel, d’une sorte de sifflement continu, d’une limpidité, d’une force, je dirais pour un peu d’une luminosité admirables.

Car cela éveillait aussitôt la sensation d’une trajectoire, droite, rapide, semblable à celle d’un aérolithe à travers un ciel d’été, mais longue et sans trêve étirée comme entre deux infinis. Tout à fait éveillé maintenant, j’écoutais de toutes mes oreilles, sans qu’il me fût possible, dans le temps même où j’en étais traversé, de situer la source, le passage, la direction du ciel où, par-dessus la forêt sans limites, s’enfonçait ce cri de la nuit. Je ne l’entendais plus et je continuais de l’entendre : ainsi l’œil continue de voir, longtemps après qu’il s’est éteint, aigu et bleu, le trait de feu qui a rayé la nue.

- Les loups ? dit l’un des compagnons allongés auprès de moi.

Et un autre, sans doute l’un des trappeurs qui nous guidaient :

- C’est un hibou. Peut-être le grand cornu, peut-être le grand harfang des neiges.

Ce harfang, je l’avais contemplé longtemps, captif à Charlesbourg, près de Québec. Il a des yeux inoubliables, démesurés, deux abîmes sombres d’un brun profond, ardent, où le noir des pupilles irradie un regard fixe, intense, pénétrant comme un regard humain. Aussi blanc et plus blanc que l’effraie, hiératique et debout, colossal, il attachait sur nous le poids de ce regard, et je ne sais quelle gêne m’oppressait, grandissait, me retenait comme malgré moi contre les barreaux de sa cage. Cette puissance, cette blancheur, ce regard et ce cri, quelle créature, née de quelle fantaisie, de quel délire sublime de l’inépuisable vie !"


image : 

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5a/Bubo_scandiacus_Delta_3.jpg


cri :

https://www.youtube.com/watch?v=OaNVCsx6NT4


remarque : il semble étrange de confondre avec le cri du loup...