Morrieson, L'Épouvantail, traduction J.-P. Gratias, incipit :
« C'est au cours de la même semaine que nos poules furent volées et que Daphné Moran eut la gorge tranchée.
À l'école, tout cancre que j'étais, j'avais de bonnes notes en rédaction, sinon en orthographe, et j'étais friand de lectures. Et c'est pourquoi, sans doute, je me permets aujourd'hui de m'ériger en chroniqueur pour retracer les moments où la ville de Klynham fit parler d'elle. Ce fut certainement le chapitre le plus sombre et le plus mouvementé de ses annales, et comme le dicton prétend que « La vérité finit toujours par se savoir », il me semble que la véritable histoire ne demande qu'à être racontée tôt ou tard. En m'attelant à cette tâche, j'ai peut-être les yeux plus grands que le ventre. Mais qui - je me pose la question - endossera ce rôle si je ne relève pas le défi ? Qui a été plus constamment que votre humble serviteur impliqué dans chaque péripétie ? "Personne !" Et quelle famille pourrait donc, mieux que la mienne, connaître les rares tenants et aboutissants qui auraient pu m'échapper ? Que l'écho me réponde s'il le peut !
Donc, il me semble que c'est à moi de tenter l'aventure et de rassembler, après coup, tous les épisodes de cette histoire aussi macabre que dramatique. La totalité, ou presque, de ce récit devrait prendre la forme d'un compte rendu véritablement exhaustif. Certains détails, bien sûr, m'auront été rapportés, et quelques fragments particulièrement insaisissables m'obligeront peut-être à me servir de mon imagination ; mais j'ai sûrement droit à quelque latitude si je dois enfin faire éclater la vérité concernant cette étrange affaire. Alors, accordez-moi un peu de liberté, c'est tout ce que je demande.
En lisant L'Île au trésor, je fus séduit par le style de cette phrase : 'C'est au cours du même abordage que j'ai perdu ma jambe et le vieux Pew ses yeux'. Le jour où je me mettrai à écrire à mon tour, décidai-je, voilà à quoi j'aimerais que mon propre style ressemble. C'est plus difficile qu'il n'y paraît. Dans la première phrase de mon récit, je m ' en rapproche autant que faire se peut.
Les deux crimes, le premier si banal et l'autre... »
« The same week our fowls were stolen, Daphne Moran had her throat cut.
Big dunce that I was at school, my essays, if not my spelling, used to be thought quite good, and I was a keen reader, which is probably why I now presume to set myself up as the chronicler of Klynham’s hour in the limelight. This was certainly the most hectic and the darkest chapter in the whole history of the town and, just like I have heard said ‘Murder will out’, it seems to me that the true story is bursting to be told sooner or later. It may be that I am biting off more than I can chew in tackling the job, but who, I ask myself, is going to come to light if I do not accept the challenge? Who was more constantly mixed up in every scene than little me? But nobody ! And whose family knew more of any ins and outs that I may have missed myself than my own family ? Echo answers whose!
So it looks like it is over to me to go ahead and, in retrospect, piece together the entire grisly and dramatic episode. Nearly all should turn out to be a genuine blow-by-blow account. Some of it will have been told to me, of course, and some extra elusive bits and pieces may force me to use my imagination; but surely I get some licence if I am really going to blow the top off that strange affair at last. Grant me a little licence, then, is my plea.
In Treasure Island I liked the sound of ‘The same broadside I lost my leg, Old Pew lost his deadlights.’ When I get around to writing myself, I decided, that is how I am going to sound. It is harder than it looks. The opening sentence of my story is as near as I can get.
The two crimes, the one so trivial... »