samedi 26 septembre 2020

Nabokov (rythme)

 Nabokov, Ada, 4° partie, trad. Chahine-Blandenier, Folio p. 692-693 : 

« La seule chose peut-être qui laisse entrevoir un sens du Temps est le rythme ; non les battements récurrents du rythme, mais le vide qui sépare deux de ces battements, le creux gris entre les notes noires : le Tendre Intervalle. La pulsation elle-même ne fait que rappeler la triste idée de mensuration mais entre deux pulsations se cache quelque chose qui ressemble au Temps véritable. Comment puis-je l'extraire de ce tendre creux ? Le rythme ne doit être ni trop lent ni trop rapide. À un battement par minute, mon sens de la succession est complètement dépassé, et cinq oscillations par seconde résultent en un brouillard sans issue. Le rythme lent dissout le Temps, le rythme rapide ne lui laisse pas de place. Qu'on me donne, disons, trois secondes, et je pourrai faire ces deux choses : percevoir le rythme et sonder l'intervalle. Ai-je parlé d'un creux, d'un trou sombre ? Mais ce n'est que l'Espace, le traître, qui revient par la porte de derrière, colportant son pendule, tandis que je cherche à tâtons la signification du Temps. Ce que je m'efforce de saisir, c'est précisément le Temps que l'Espace m'aide à mesurer, et il n'est pas étonnant que je ne parvienne pas à saisir le Temps, puisque l'absorption de connaissances prend elle-même du temps."


"Maybe the only thing that hints at a sense of Time is rhythm; not the recurrent beats of the rhythm but the gap between two such beats, the gray gap between black beats: the Tender Interval. The regular throb itself merely brings back the miserable idea of measurement, but in between, something like true Time lurks. How can I extract it from its soft hollow ? The rhythm should be neither too slow nor too fast. One beat per minute is already far beyond my sense of succession and five oscillations per second make a hopeless blur. The ample rhythm causes Time to dissolve, the rapid one crowds it out. Give me, say, three seconds, then I can do both: perceive the rhythm and probe the interval. A hollow, did I say ? A dim pit ? But that is only Space, the comedy villain, returning by the back door with the pendulum he peddles, while I grope for the meaning of Time. What I endeavor to grasp is precisely the Time that Space helps me to measure, and no wonder I fail to grasp Time, since knowledge-gaining itself takes time."