Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation (1818), traduction Burdeau, P.U.F. 1966, p. 407 :
« La vie de chacun de nous, à l’embrasser dans son ensemble d’un coup d’œil, à n’en considérer que les traits marquants est une véritable tragédie. Et quand il faut, pas à pas, l’épuiser en détail, elle prend la tournure d’une comédie. Chaque jour apporte son travail, son souci ; chaque instant sa duperie nouvelle ; chaque semaine, son désir, sa crainte ; chaque heure ses désappointements, car le hasard est là, toujours aux aguets, pour faire quelque malice ; pures scènes comiques que tout cela. Mais les souhaits jamais exaucés, la peine toujours dépensée en vain, les espérances brisées par un destin pitoyable, les mécomptes cruels, qui composent la vie entière, la souffrance, qui va grandissant, et à l’extrémité de tout la mort, en voilà assez pour faire une tragédie. On dirait que la fatalité veut, dans notre existence, compléter la torture par la dérision ; elle y met toutes les douleurs de la tragédie ; mais pour ne pas nous laisser au moins la dignité du personnage tragique, elle nous réduit dans les détails de la vie au rôle du bouffon. »