Queneau, Le Dimanche de la vie, chap. XV :
« - Il a fait beau aujourd’hui, hein ? dit Houssette.
Valentin n’avait pas spécialement remarqué. Au mois de juin, il trouvait ça naturel. Il répondit au hasard :
- Superbe.
Le temps qui passe, lui, n’est ni beau ni laid, toujours pareil. Peut-être quelquefois pleut-il des secondes, ou bien le soleil de quatre heures retient-il quelques minutes comme des chevaux cabrées*. Le passé ne conserve peut-être pas toujours la belle ordonnance que donnent au présent les horloges, et l’avenir accourt peut-être en pagaye, chaque moment se bousculant pour se faire, le premier, débiter en tranches. Et peut-être y a-t-il du charme ou de l’horreur, de la grâce ou de l’abjection, dans les mouvements convulsifs de ce qui va être et de ce qui a été. Mais Valentin ne s’était jamais complu dans ces suppositions. Il n’en savait pas encore assez. Il voulait se contenter d’une identité bien sectionnée en morceaux de longueurs diverses, mais de caractère toujours semblable, sans la teinter des couleurs de l’automne, la laver dans les giboulées de mars ou la marbrer de l’inconstance des nuages. »
* il ne s’agit pas forcément d’une coquille : on peut supposer une virgule implicite après ‘chevaux’, ce qui rattacherait l’adjectif à ‘minutes’