lundi 6 avril 2020

Aymé (mort du chien Museau)


Aymé, Gustalin, chap. XV :
« Museau levait la tête et essayait de regarder le visage de son maître. On était en vue du sentier qu’il prenait naguère pour filer chez Chantremain. Tout à coup, il s’arrêta, suffoquant et tremblant des quatre pattes. Quelques secondes, il réussit à maintenir son équilibre, puis il s’affaissa sans avoir la force d’allonger ses pattes de devant, dont l’une resta prise sous le poids de son corps. Plusieurs fois, il allongea le cou, comme s’il se fût encore efforcé en avant. Hyacinthe, le voyant grelotter de fièvre et de fatigue, le prit dans ses bras et rebroussa chemin. La bête était si faible que sa tête ballait de côté et d’autre. Il dut la lui soutenir avec le haut du bras. L’ayant ainsi calée, il se pencha pour le regarder de tout près dans les yeux. Le chien sembla le reconnaître et fit mine de vouloir aboyer.
«Malin, plaisanta Hyacinthe, c’est pour te faire porter.»
Museau, frileux, se serrait contre lui et regardait passer, par-dessus son bras, les haies et les champs. Au loin, le paysage se brouillait. Plus près, il devenait mouvant. Un pommier se détacha d’une rangée d’arbres, dansa un moment sur les prés et s’éloigna et se perdit. La lisière des bois, après avoir oscillé, se disloqua, et un champ labouré de frais se dressa comme un mur. Dans ses oreilles, la voix d’Hyacinthe résonnait plus haute et plus terrible que la voix des oracles.
«Mon chien, disait-il, mon chien.»
Museau eut une mort difficile, à chercher toujours son souffle et à se tordre dans des douleurs de ventre. Après midi, il fit un effort pour se lever, en regardant de l’autre côté de la cour, vers sa niche, et il retomba sur le flanc. Hyacinthe creusa un trou au bout du pré et, en cachette de Tournejai qui apportait la dépouille, il mit au fond du trou l’écuelle de Museau et une bobine que Marthe lui donnait parfois pour jouer. »