vendredi 10 avril 2020

Starobinski (Claudel)


Starobinski, Claudel, parole et silence NRF 1955, La Beauté du monde p. 648 : 
« La parole poétique, chez Claudel, ne convoite aucun privilège surhumain. Elle ne revendique pour elle aucune vertu sacrée, qu'elle disputerait à la religion. Elle n'a pour but que de nommer une réalité déjà présente, qui est l'œuvre de Dieu. Croire que cette réalité - même tout idéale, «l'absente de tous bouquets» - puisse être entièrement l'ouvrage du poète serait un blasphème. Avant donc que le poète ait parlé, les choses qu'il nommera sont déjà saintes et consacrées. Le poète se contente de les reconnaître à son tour et d'ajouter sa modeste louange au concert des choses créées. Valéry invoquait le «saint Langage», tandis que Claudel, farouchement hostile à tout idéalisme philosophique, entend rendre hommage à la «sainte réalité».
[…] La réussite ou l'échec de l'œuvre de langage ne changeront rien à la cohérence et à la beauté suffisantes du monde. Les risques et les chances du poème n'entraîneront nulle conséquence d'ordre métaphysique. L’Art poétique de Claudel ne concerne pas tant l'œuvre à faire et les devoirs du langage que la structure même du monde offert à notre contemplation. Puisque le monde existe, le Poème est déjà réussi. »