Romains J., Les Hommes de bonne volonté, vol. Eros de Paris, chap. VIII : Promenade et préoccupations du chien Macaire :
« Les odeurs le déconcertaient encore un peu. La plus dépaysante était celle qui venait du sol. Macaire n'arrivait pas à oublier le sol de la campagne, et son exhalaison, qui, suivant les lieux, surtout suivant les heures et les jours, est bien loin d'être uniforme, mais qu'on finit par connaître assez pour ne plus avoir à s'en occuper dans la vie courante. Ce qui permet de porter toute son attention sur les odeurs plus accidentelles qui s'y enchevêtrent : arômes d'aliments et d'excréments, fumets de bêtes et bestioles, traces de grands animaux, mais d'abord traces de chiennes et traces d'hommes.
Bien que le bas de la porte sentît la peinture et l'urine de chien, Macaire discernait sans peine l'émanation étrange du trottoir. Elle évoquait certaines pierres sur une colline chauffée au soleil, où il lui était arrivé de poursuivre des lézards. Mais le parfum de ces pierres était beaucoup plus simple.
À certains moments l'odeur de trottoir était dominée par une odeur de chaussures. Un homme approchait, à pas rapides, et l'on sentait considérablement ses pieds. À la campagne, les pieds marchent souvent dans des sabots ; et les pieds dans des sabots sentent la sueur d'homme, le bois, l'herbe écrasée et le fumier. Même lorsqu'ils marchent dans des chaussures, on ne saurait les confondre avec ceux d'ici. L'étonnement de Macaire sur ce point était dû à la qualité spéciale des cuirs, aux teintures dont on les imprègne en cordonnerie fine, ainsi qu'à l'abondance et à la diversité du cirage. »