samedi 2 novembre 2019

Vargas Llosa (littérature)


Vargas Llosa, Discours Nobel, décembre 2010 :  
"Tout comme écrire, lire c’est protester contre les insuffisances de la vie. Celui qui cherche dans la fiction ce qu’il n’a pas, exprime, sans nul besoin de le dire ni même de le savoir, que la vie telle qu’elle est ne suffit pas à combler notre soif d’absolu, fondement de la condition humaine, et qu’elle devrait être meilleure. Nous inventons les fictions pour pouvoir vivre de quelque manière les multiples vies que nous voudrions avoir quand nous ne disposons à peine que d’une seule. […] La littérature est une représentation fallacieuse de la vie qui, néanmoins, nous aide à mieux la comprendre, à nous orienter dans le labyrinthe dans lequel nous sommes nés, que nous traversons et où nous mourons. Elle nous dédommage des revers et des frustrations que nous inflige la vie véritable et grâce à elle nous déchiffrons, du moins partiellement, ce hiéroglyphe qu’est souvent l’existence pour la grande majorité des êtres humains, principalement pour nous, qui abritons plus de doutes que de certitudes, et avouons notre perplexité devant des sujets tels que la transcendance, le destin individuel et collectif, l’âme, le sens ou le non-sens de l’histoire, l’en-deçà et l’au-delà de la connaissance rationnelle. […] Rien n’a semé autant l’inquiétude, secoué autant l’imagination et les désirs que cette vie de mensonges que nous ajoutons à celle que nous avons grâce à la littérature afin de connaître la grande aventure et la grande passion que la vie véritable ne nous donnera jamais. Les mensonges de la littérature deviennent des vérités à travers nous, ses lecteurs, transformés, contaminés d’aspirations et cela par la faute de la fiction, remettant toujours en question la médiocre réalité. Par ce sortilège, qui nous berce de l’illusion d’avoir ce que nous n’avons pas, d’être ce que nous ne sommes pas et d’accéder à cette existence impossible où, comme des dieux païens, nous nous sentons terrestres et éternels à la fois, la littérature introduit dans nos esprits la non-conformité et la rébellion, qui sont derrière toutes les prouesses ayant contribué à diminuer la violence dans les rapports humains. »

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