mercredi 13 novembre 2019

Queneau (dépassement)


Queneau, Odile : 
« […] La racine commune de toutes leurs erreurs, c'est leur dialectique grossière, leur négation qui se fait toujours vers le bas et qu'ils n'arrivent pas à dépasser, et pour cause. Il y a deux manières de ne pas posséder une qualité : parce qu'on ne peut ou parce qu'on ne daigne : parce qu'on se trouve au-dessus ou parce qu'on se trouve au-dessous.
— Par exemple ? 
— Ainsi, on peut proposer à l'homme l'état de l'enfance comme un " idéal " à la condition que ce ne soit pas par défaut mais par suréminence, non parce qu'on ne peut parvenir à être un adulte mais parce qu'au contraire on a réalisé toutes les possibilités de cet état. Ces gens qui prônent l'enfance la recherchent dans les sous-sols de la conscience, dans les cabinets de débarras, dans les rebuts ; aussi ne parviennent-ils qu'à la caricature. […] Prenez cet autre exemple : l'inspiration. On l'oppose à la technique et l'on se propose de posséder de façon constante l'inspiration en reniant toute technique, même celle qui consiste à attribuer un sens aux mots. Que voit-on alors ? l'inspiration disparaître : on peut difficilement tenir pour inspirés ceux qui dévident des rouleaux de métaphores et débobinent des pelotes de calembours. Ils se traînent dans le noirâtre espérant y déterrer les marteaux et les faucilles qui briseront les chaînes et sectionneront les liens de l'humanité. Mais ils ont perdu toute liberté. Devenus esclaves des tics et des automatismes ils se félicitent de leur transformation en machine à écrire ; ils proposent même leur exemple, ce qui relève d'une bien naïve démagogie. L'avenir de l'esprit dans le bavardage et le bredouillement ! J'imagine au contraire que le vrai poète n'est jamais " inspiré " : il se situe précisément au-dessus de ce plus et de ce moins, identiques pour lui, que sont la technique et l'inspiration, identiques car il les possède suréminemment toutes deux. Le véritable inspiré n'est jamais inspiré : il l'est toujours ; il ne cherche pas l'inspiration et ne s'irrite contre aucune technique »