Goncourt, Journal, 20 juillet 1857, éd. Cabanès p. 432-3 :
« Une seule chose peut donner l'idée du ruminant et des quatre estomacs que lui donne l'histoire naturelle, c'est la province. La vie y tourne autour de la table. Les souvenirs de famille sont des souvenirs de galas. La cuisine y est l'âme de la maison ; et dans un coin, les aïeules parlent d'une voix cassée des pêches qui étaient plus belles de leur temps, et des écrevisses dont un cent, en leur jeune temps, emplissait une hotte. Le toumebroche est comme le pouls ronflant de la vie provinciale. L'appétit y est une institution, le repas, une cérémonie bienheureuse, la digestion une solennité. La table en province est à la famille ce qu'est l'oreiller conjugal au ménage : le lien, et le rapatriement, et la patrie. Ce n'est plus un meuble, et c'est presque un autel. L'estomac prend en province quelque chose d'auguste et de sacro-saint ; comme un outil d'extase journalière. Le ventre n'est plus le ventre, mais quelque chose en soi d'où se répand en tout le corps une joie animale et saine, une plénitude et une paix, un contentement des autres et de soi, une douce paresse de tête et de cœur, et le plus tranquille acheminement de l'homme vers une belle apoplexie. »