Berdiaeff, Esprit et Liberté, Essai de philosophie chrétienne, 1928 :
« C’est aux sommets de l'esprit, et non pas dans les bas-fonds de la matière, que le mal se manifesta pour la première fois. Le mal originel possède une nature spirituelle et il s'accomplit dans le monde spirituel. Le mal d'ici-bas, qui nous enchaîne au monde matériel, n'en est que la résultante. L'esprit qui se crut Dieu, et qui s'éleva orgueilleusement sur les hauteurs, tomba dans les basses régions de l'être. Le monde est un organisme hiérarchique dont toutes les parties sont liées entre elles, où tout ce qui s'accomplit sur les sommets se répercute dans les vallées. Ne pouvait se détacher de Dieu que toute l'âme du monde, embrassant en elle toute l'humanité, toute la création. Le mythe de Satan reflète symboliquement l'événement qui s'est déroulé au sommet même du monde spirituel, au plus haut degré de la hiérarchie de l'esprit. C’est là que les ténèbres se condensèrent originellement, que pour la première fois la liberté donna une réponse négative à l’appel divin, au besoin que Dieu éprouve de l’amour de son autre lui-même ; c’est là que la création commença à s’affirmer elle-même et s’engagea dans la voie de l’isolement, de la division et de la haine. L’homme se détacha de Dieu avec toute la création, avec toute la hiérarchie universelle ; il fut séduit par les forces spirituelles. L’orgueil est la tentation d’un esprit supérieur qui veut se substituer à Dieu. »