Giono, entretien avec Jean Amrouche, 1948 :
"Je lis les livres de Gisévius sur Hitler. L'hitlérisme a un mérite. Il a lâché sur le monde des monstres de cruauté. Et on a pu s'apercevoir que ces monstres n'étaient pas exotiques, ni même allemands, mais qu'ils étaient aussi de notre pays, de notre village, de notre rue et même de notre maison. Tel le petit coiffeur bien gentil, qui vous demandait s'il ne vous faisait pas mal avant de poser le rasoir sur votre joue, a tué et torturé de ses mains Mlle X en plein bois — parce qu'elle parlait allemand (elle était secrétaire de mairie et alsacienne). Cet électricien qui m'écoute polimenl quand je lui dis de changer les commutateurs, il a éventré trois hommes et il a patouillé à mains nues dans leurs entrailles Celui-là a ouvert le ventre de Mad. Y et a obligé le fils à chercher le petit boche dans le ventre de sa mère. Il est cafetier et vous sert des bocks. Il y a cent et plus hommes et femmes (rien qu'à M.) qui ont tué avec plaisir, torturé avec joie, et à qui on a vu les mains rouges, et qu'on a entendus la bouche pleine d'ordures. Et c'étaient des antihitlériens. Mais hitlériens ou anti, là n'est pas la question. Le grand mérite, c'est qu'on a bu le fond de notre turpitude et que je ne crois plus au coiffeur, à l'électricien, au cafetier, et à cette jeune file qui rougit (et est très belle) Je ne crois même plus à moi. (Voilà pourquoi Un roi sans divertissement)."