Romains (Jules), Mort de quelqu'un Livre de Poche, p. 81-82 :
"Le vieillard, tassé dans le coin du wagon, s'obligeait à garder les paupières closes, pour dormir ; rien ne fut changé d'abord ; les pensées restaient à leur place, ou défilaient comme tantôt ; il était toujours dans le compartiment, qu'il voyait aussi net qu'avec ses yeux, et dont il sentait les hommes, un à un. Puis le souvenir du chemin dans le village passa, reparut, surgit plusieurs fois sans être appelé. Ce n'était plus le chemin entier, mais le coude où se dressait la croix aux bavures de chaux. La croix s'agrandit, supprima le chemin, s'entoura d'une chapelle ; tout devint une place de marché avec des paysannes assises ; des vaches échappées galopaient, devant une troupe battant de ses tambours. Le compartiment s'écartait, repoussé par les visions ; il entourait encore le vieillard, mais de loin, d'un enveloppement lâché et déchiré. La maison, là-bas, laissait s'approfondir la blessure quotidienne de la nuit, et abandonnait lentement les hommes à leur sommeil."