Picon, 1853, Naissance de la peinture moderne [1974], p. 127-129 :
"Ne disons pas que [chez Manet], le sujet disparaît, ni même sa signification : il n'y a qu'un seul sujet, qui est le visible, et qui délègue sa signification à chacune de ses manifestations. Le visible est la signification de l'existence et le sujet de la peinture.
Ce qui disparaît, précisons-le, ce n'est pas l'identité, la réalité de cette image, ou son pouvoir sur nous. Non, il n'est pas indifférent qu'il y ait là, devant nous, une femme nue, ou un bouquet d'arbres, ou les eaux d'une rivière, ou un vase plein de pivoines – et notre réaction tient compte, en un sens, de ce «sujet». Ce qui disparaît, c'est toute signification, toute connotation qui ne passe pas par le visible : c'est la mouvance invisible de l'image. Par exemple, que cette femme soit Olympia, non Vénus ; que ces eaux soient celles de l'Oise, et non de l'Illyssus, malgré la prévision éventuelle d'un titre, c'est sans importance. Ce qui est modifié, c'est la relation entre la chose maintenue – et toujours efficace dans son identité – et l'ordre du visible, auquel elle appartient ; et c'est cette modification qui nous fait croire que le sujet a disparu. L'objet a perdu sa primauté ; il n'est plus que l'hypostase du visible ; c'est le visible en tant que tel qui a le pouvoir, et qui donne délégation. Dans ce bouquet de pivoines brûle «l'absente de tous bouquets» : le soleil dont ces pétales sont autant de rayons."
à suivre