Amiel, Journal intime, 6 octobre 1860 :
"Mais comment dois-je appeler l'expérience de ce soir ? est-ce une déception, est-ce un enivrement ? ni l'un ni l'autre. J'ai eu pour la première fois une bonne fortune, et franchement, à côté de [ce] que l'imagination se figure ou se promet, c'est peu de chose. C'est quasi un seau d'eau fraîche. J'en suis bien aise. Cela m'a refroidi en m'éclairant. La volupté elle-même est aux trois quarts ou plus encore dans le désir, c'est-à-dire dans l'imagination. La poésie vaut infiniment mieux que la réalité. Mais l'intérêt vif de l'expérience est essentiellement intellectuel ; je puis enfin raisonner sur la femme sciemment, sans cette demi-niaiserie de l'ignorance, ou cette idéalisation fautive de la pensée, qui m'ont gêné jusqu'ici. Je vois le sexe entier avec le calme d'un mari, et je sais maintenant que, pour moi du moins, la femme physique n'est presque rien."