Gide, L'évolution du théâtre, in Nouveaux Prétextes :
"Chaque fois que l'art languit, on le renvoie à la nature, comme on mène un malade aux eaux. La nature hélas ! n'y peut mais : il y a quiproquo. Je consens qu'il soit bon parfois que l'art se remette au vert, et s'il pâlit d'épuisement, qu'il quête dans les champs, dans la vie, quelque regain de vigueur. Mais les Grecs nos maîtres savaient bien qu'Aphrodite ne naît point d'une fécondation naturelle. La beauté ne sera jamais une production naturelle ; elle ne s'obtient que par une artificielle contrainte. Art et nature sont en rivalité sur la terre. Oui, l'art embrasse la nature, il embrasse toute la nature, et l'étreint ; mais se servant du vers célèbre il pourrait dire :
J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer.
L'art est toujours le résultat d'une contrainte. Croire qu'il s'élève d'autant plus haut qu'il est plus libre, c'est croire que ce qui retient le cerf-volant de monter, c'est sa corde. La colombe de Kant, qui pense qu'elle volerait mieux sans cet air qui gêne son aile, méconnaît qu'il lui faut, pour voler, cette résistance de l'air où pouvoir appuyer son aile. C'est sur de la résistance, de même, que l'art doit pouvoir s'appuyer pour monter."