Caillois, L'incertitude qui vient des rêves p. 145-146 :
"La lecture et le spectacle s'apparentent très lointainement au rêve. Ce sont des démissions mineures qui reposent sur la convention. Elles n'impliquent de la part de la conscience qu'une abdication volontaire et limitée. L'esprit demeure libre de rompre le pacte à tout moment ; il conserve ses pouvoirs intacts et comme en réserve. Au contraire, dans le rêve, le désistement de la conscience est total et sans tempérament. Il n'y est pas possible de fermer le livre ou de quitter la salle. Il n'y est pas non plus possible de ménager au fond de soi une sorte d'instance seconde d'où l'on considère, avec un certain recul et non sans disposition critique toujours prompte à renaître, les épisodes d'une action extérieure. A l'opposé, il demeure présent à l'esprit de chaque lecteur qu'il est en train de lire un livre, qu'il le tient dans ses mains et qu'il faut bien qu'il en tourne les pages. De même, chaque spectateur se souvient qu'assis dans un fauteuil, il regarde une scène ou un écran vivement éclairés, où les acteurs jouent les personnages d'une histoire fictive. Il n'y a pas d'aliénation véritable : l'esprit ne s'abandonne que dans une mesure infime, si on compare cet acquiescement de complaisance à la grande plongée du rêve."