Staël (G. de), Lettres sur les écrits de Rousseau V :
"Rousseau s'est longtemps occupé de la botanique : c'est une manière de s'intéresser en détail à la campagne. Il avait adopté un système qui prouve encore peut-être combien il trouvait que le souvenir même des hommes gâtait le plaisir que la contemplation de la nature fait éprouver. Il distinguait les plantes par leurs formes, et jamais par leurs propriétés ; il lui semblait que c'était les dégrader, de ne les considérer que sous le rapport de l'utilité dont elles peuvent être aux hommes. Il ne me paraît pas, je l’avoue, que cette opinion doive être adoptée ; ce n'est pas avilir les ouvrages du Créateur que de les croire destinés à une cause finale, et le monde paraît plus imposant et plus majestueux à celui qui n'y voit qu'une seule pensée ; mais l'imagination poétique et sauvage de Rousseau ne pouvait supporter de lier à l'image d'un arbuste ou d'une fleur, ornement de la nature, le souvenir des maux et des infirmités des hommes. Avec quel charme il peint, dans ses Confessions, ses transports en revoyant la pervenche ! comme elle lui retraçait tout ce qu'il avait éprouvé jadis ! elle produisait sur lui l'effet de cet air que l'on défend de jouer aux Suisses hors de leur pays, dans la crainte qu'ils ne désertent. Cette pervenche pouvait lui inspirer la passion de retourner dans le pays de Vaud ; une seule circonstance semblable lui rendait présents tous ses souvenirs. Sa maîtresse, sa patrie, sa jeunesse, ses amours, il retrouvait, il ressentait tout à la fois."