Houellebecq, anéantir, 7, chap. 2 :
"Depuis un siècle à peu près, d’autres hommes étaient apparus, en nombre croissant ; ils étaient rigolards et visqueux, ils n’avaient même pas la relative innocence du singe, ils étaient portés par la mission infernale de ronger et de corroder tout lien, d’anéantir toute chose nécessaire et humaine. Ils avaient malheureusement fini par atteindre le grand public, le public populaire. Le public cultivé était depuis longtemps acquis au principe de la décadence, sous l’effet de penseurs qu’il serait fastidieux d’énumérer, mais cela n’avait pas beaucoup d’importance, le grand public était l’essentiel, il était maintenant, depuis les Beatles et peut-être depuis Elvis Presley, la norme de toute validation, rôle que la classe cultivée, ayant failli sur le plan éthique comme sur le plan esthétique, s’étant par ailleurs gravement compromise sur le plan intellectuel, n’était plus en mesure de tenir. Le grand public ayant ainsi acquis un statut d’instance de validation universelle, son avilissement programmé était une bien mauvaise action,[...] et ne pouvait conduire qu’à une fin violente et triste."
Un texte par jour, ou presque, proposé par Michel PHILIPPON (littérature, philosophie, arts, etc.).