jeudi 20 janvier 2022

Gracq (paysage et roman)

     Gracq, En lisant en écrivant, p.87-88, José Corti, 1980 :
    "Paysage et roman.
    Qu’est-ce qui nous parle dans un paysage ?
   Quand on a le goût surtout des vastes panoramas, il me semble que c’est d’abord l’étalement dans l’espace – imagé, apéritif – d’un « chemin de la vie », virtuel et variantable, que son étirement au long du temps ne permet d’habitude de se représenter que dans l’abstrait. Un chemin de la vie qui serait en même temps, parce qu’éligible, un chemin de plaisir. Tout grand paysage est une invitation à le posséder par la marche ; le genre d’enthousiasme qu’il communique est une ivresse du parcours. Cette zone d’ombre, puis cette nappe de lumière, puis ce versant à descendre, cette rivière guéable, cette maison déjà esseulée sur la colline, ce bois noir à traverser auquel elle s’adosse, et, au fond, tout au fond, cette brume ensoleillée comme une gloire qui est indissolublement à la fois le point de fuite du paysage, l’étape proposée de notre journée, et comme la perspective obscurément prophétisée de notre vie. « Les grands pays muets longuement s’étendront »*… mais pourtant ils parlent ; ils parlent confusément, mais puissamment, de ce qui vient, et soudain semble venir de si loin, au-devant de nous."

  * Vigny, La Maison du berger