Dutourd, Jeannot, mémoires d’un enfant :
"On appelle l’adolescence « âge ingrat », ce qu’elle est, certes, mais pas au sens où on l’entend habituellement. Ingrat est, en l’espèce, plutôt synonyme d’oublieux que de déplaisant ou de désagréable. On perd de vue l’enfant qu’on a été, on le trahit au profit de l’adulte que l’on va être. Il n’est que d’observer les gens de vingt ans : rien ne leur reste de leurs jeunes années, ils ne gardent pas en eux de traces de l’être qu’ils ont été, comme s’ils étaient l’objet d’une métempsycose et que toute vie antérieure eût été effacée de leur mémoire. On dit encore de l’adolescence qu’elle est « l’âge bête » ; il ne peut pas en être autrement car l’adolescent rejette toute son expérience, sa patience, sa sagesse, sa philosophie d’enfant, il les méprise, il en rit, comme un barbare insulte la civilisation qu’il a détruite. Pour ne parler que de moi, j’étais beaucoup moins intelligent à quatorze ans qu’à six."
Un texte par jour, ou presque, proposé par Michel PHILIPPON (littérature, philosophie, arts, etc.).