Valéry, Avant-propos à La Connaissance de la déesse, Pléiade t. 1 p. 1275 :
"Rien de si pur ne peut coexister avec les conditions de la vie. Nous traversons seulement l'idée de la perfection, comme la main impunément tranche la flamme, mais la flamme est inhabitable et les demeures de la plus haute sérénité sont nécessairement désertes. Je veux dire que notre tendance vers l'extrême rigueur de l'art — vers une conclusion des prémisses que nous proposaient les réussites antérieures, — vers une beauté toujours plus consciente de sa genèse, toujours plus indépendante de tous sujets, et des attraits sentimentaux vulgaires comme des grossiers effets de l'éloquence, — tout ce zèle trop éclairé, peut-être conduisait-il à quelque état presque inhumain. [...]
La poésie absolue ne peut procéder que par merveilles exceptionnelles ; les œuvres qu'elle compose entièrement constituent dans les trésors impondérables d'une littérature ce qui s'y remarque de plus rare et de plus improbable. Mais, comme le vide parfait, et de même que le plus bas degré de la température, qui ne peuvent pas être atteints, ne se laissent même approcher qu'au prix d'une progression épuisante d'efforts, ainsi la pureté dernière de notre art demande à ceux qui la conçoivent de si longues et de si rudes contraintes qu'elles absorbent toute la joie naturelle d'être poète, pour ne laisser enfin que l'orgueil de n'être jamais satisfait."