jeudi 11 novembre 2021

Fontenelle (tragédie)

Fontenelle, Réflexions sur la poétique (1699), cité par Hume in Sur la tragédie, in Essais esthétiques, éd. R. Bouveresse GF p. 113-114 : 

"Le plaisir et la peine, dit-il, qui sont en eux-mêmes deux sentiments si différents, ne sont pas tellement différents dans leur cause. De l'exemple du chatouillement, il ressort que, lorsque l'intensité du plaisir est poussée un peu trop loin, celui-ci devient peine, et que l'intensité de la peine, un peu tempérée, la transforme en plaisir. De là vient qu'il puisse exister une chose telle qu'une peine douce et agréable : c'est une peine affaiblie et diminuée. Le cœur aime naturellement à être affecté et ému. Les objets mélancoliques lui conviennent, et même les objets désastreux et tristes, pourvu qu'ils soient adoucis par certains détails. Il est certain qu'au théâtre, la représentation est presque semblable dans ses effets à la réalité ; toujours est-il qu'elle n'a pas complètement cette conséquence. De quelque façon que nous soyons pris par le spectacle, quelle que soit l'emprise que les sens et l'imagination puissent avoir sur la raison, une certaine conscience de l'irréalité du spectacle que nous percevons accompagne toujours l'ensemble de ce que nous voyons. Cette idée, bien que faible et déguisée, suffit à atténuer la peine que nous éprouvons à la vue des malheurs de ceux que nous aimons, et à réduire cette affliction à un point tel qu'elle la transforme en plaisir. Nous pleurons l'infortune d'un héros auquel nous sommes attachés. Au même instant nous nous réconfortons nous-mêmes à l'idée que ceci n'est qu'une fiction. C'est précisément ce mélange de sentiments qui nous procure un tourment agréable, en même temps que des larmes qui font nos délices."