Chesterton, Orthodoxie. Chap. VIII : 'Le roman de l’Orthodoxie' , trad. D'Azay, p. 197-198 :
"Il est devenu banal de se plaindre de l’agitation et du surmenage de notre époque. A la vérité, ce qui distingue surtout notre époque, c’est une paresse et une lassitude profondes ; et le fait est que la réelle paresse est la cause de l’agitation apparente. Prenez un exemple tout à fait extérieur : les rues sont bruyantes à cause des taxis et de la circulation, mais cela tient moins à l’activité humaine qu’au repos humain. Il y aurait moins d’agitation s’il y avait plus d’activité, si les gens se contentaient de marcher. Notre monde serait plus silencieux s’il était plus actif. Et ce qui est vrai pour l’agitation physique apparente est également vrai pour l’agitation apparente de l’intellect. La machinerie du langage moderne est, dans l’ensemble, une machinerie qui allège le travail, et allège le travail mental beaucoup plus qu’elle ne le devrait. On recourt aux expressions scientifiques comme à des rouages et à des tiges de piston pour que la voie du confortable soit encore plus rapide et plus lisse. Les mots à rallonges nous fracassent les oreilles comme des locomotives traînant une quantité de wagons. Nous savons qu’ils transportent des milliers d’individus trop las ou trop indolents pour marcher et penser par eux-mêmes. C’est un bon exercice que de s’efforcer pour une fois d’exprimer une opinion personnelle avec des mots d’une syllabe. Si vous dites : 'Tous les criminologistes reconnaissent l’utilité sociale d’une sentence indéterminée comme faisant partie de notre évolution sociologique vers une vue plus humaine et plus scientifique du châtiment', vous pourrez continuer à deviser de la sorte pendant des heures sans que la matière grise remue beaucoup à l’intérieur de votre crâne. Mais si vous commencez par dire : 'Je veux que Jones aille en prison et que Brown dise quand Jones en sortira', vous découvrirez, avec un frisson d’horreur, que vous êtes obligés de penser. Les mots longs ne sont pas des mots durs ; ce sont les mots brefs qui sont durs. Il y a beaucoup plus de subtilité métaphysique dans le mot 'damn' que dans le mot 'dégénérescence'."
VIII. The Romance Of Orthodoxy
It is customary to complain of the bustle and strenuousness of our epoch. But in truth the chief mark of our epoch is a profound laziness and fatigue; and the fact is that the real laziness is the cause of the apparent bustle. Take one quite external case; the streets are noisy with taxicabs and motorcars; but this is not due to human activity but to human repose. There would be less bustle if there were more activity, if people were simply walking about. Our world would be more silent if it were more strenuous. And this which is true of the apparent physical bustle is true also of the apparent bustle of the intellect. Most of the machinery of modern language is labour-saving machinery; and it saves mental labour very much more than it ought. Scientific phrases are used like scientific wheels and piston-rods to make swifter and smoother yet the path of the comfortable. Long words go rattling by us like long railway trains. We know they are carrying thousands who are too tired or too indolent to walk and think for themselves. It is a good exercise to try for once in a way to express any opinion one holds in words of one syllable. If you say "The social utility of the indeterminate sentence is recognized by all criminologists as a part of our sociological evolution towards a more humane and scientific view of punishment," you can go on talking like that for hours with hardly a movement of the gray matter inside your skull. But if you begin "I wish Jones to go to gaol and Brown to say when Jones shall come out," you will discover, with a thrill of horror, that you are obliged to think. The long words are not the hard words, it is the short words that are hard. There is much more metaphysical subtlety in the word "damn" than in the word "degeneration."