Bonald, De l’Éducation religieuse [1802] p. 379-380 :
"Il faut le dire avec le premier philosophe de l'antiquité, [Cicéron] ou plutôt avec la raison éternelle : Ôtez Dieu de ce monde ; l'homme ne doit rien à l'homme, la société n'est plus possible, et tout devoir cesse là où il n'y a plus de pouvoir. […] Archimède ne demandait, pour soulever le monde, qu'un point d'appui, placé hors de la terre. Dieu est le point d'appui sur lequel se meut le monde des intelligences, et ils sont coupables d'une étrange présomption, s'ils ne l'étaient pas d'une insigne folie, ces écrivains qui, nouveau-venus dans l'univers, et seuls contre le genre humain, cherchent dans les affections de l'homme le contre-poids de ses passions, ôtent ainsi tout fondement à la morale, toute sanction aux lois, et ne laissent à la raison de l'homme d'autre direction que sa raison même, toujours si faible contre ses penchants. Ils placent dans l'égoïsme le principe de la justice, parce qu'ils sont égoïstes, et qu'ils veulent paraître justes, et dans la sensibilité physique le principe de l'humanité, parce qu'ils ont les nerfs faibles, et qu'ils veulent qu'on les croie humains. Ils ne voient pas que l'égoïsme même le plus éclairé n'enseigne qu'à éviter l'éclat dans le mal que l'on fait aux autres, et la sensibilité physique la plus exquise, qu'à ne pas les voir souffrir ; et de là vient que des hommes qui ont commandé l'incendie et la dévastation de royaumes entiers n'auraient pas peut-être vu de sang-froid égorger un animal."