Drieu La Rochelle, Rêveuse Bourgeoisie, incipit :
"Mme Ligneul descendait la côte. En dépit du fort soleil d'août, elle marchait d'un bon pas. Ses jupes ramassées dans sa main gauche, elle maniait comme une canne son ombrelle fermée ; de temps en temps, elle en donnait un coup vif sur son chapeau à fleurs pour être sûre qu'il suivait le mouvement. A mi-voix elle pestait contre corset et volants. Elle n'en était pas moins correctement habillée, mais comme une femme de quarante-cinq ans pour qui la coquetterie n'a jamais existé.
En arrivant au bas de la côte, au lieu d'aller tout de suite à la plage qui était au bout de cette petite rue à droite, bordée de boutiques enfantines, elle résolut d'entrer un instant à l'église. Aussitôt dit, aussitôt fait. Et pourtant elle n'aimait pas cette église, moderne, ornée de colifichets ridicules. Mais quand on passe devant chez le Bon Dieu, il faut bien entrer lui dire bonjour.
Sa prière fut brève et cordiale : « Mon Dieu, je ne veux pas vous retenir trop longtemps, car je ne suis pas intéressante : tout va bien dans ma petite famille. Ma fille Agnès est saine et jolie ; mon bon Ernest est bien portant, travaille bien, et gagne plus d'argent que nous n'espérions. Mais ne craignez pas que je pèche par ingratitude. Je n'oublie jamais que ce sont là vos grâces exceptionnelles ; j'apprécie chaque jour l'immensité et la continuité de votre bonté. Si vous pouvez continuer, faites-le. Amen. » Elle contraignit sa vivacité pour achever son signe de croix. Et hop, à la plage."