jeudi 3 juin 2021

Pessoa + Queneau (choses)

 

Pessoa [Alberto Caeiro], Le gardeur de troupeaux XLII Poèmes païens, Seuil p. 59 : 


Le mystère des choses, où est-il ?

Où est-il, puisqu'il ne se montre pas.

Serait-ce pour nous montrer qu’il est mystère ?

Qu’en sait le fleuve et qu’en sait l’arbre ?

Et moi, qui ne suis pas plus qu’eux, qu'est-ce que j'en sais ?

Chaque fois que je regarde les choses et pense à ce que les hommes pensent d’elles,

Je ris comme un ruisseau qui bruit frais sur une pierre.


Car l’unique sens occulte des choses,

Est qu’elles n'ont pas de sens occulte du tout.

Ce qui est plus étrange que toutes les étrangetés

et que les rêves de tous les poètes

et les pensées de tous les philosophes,

C'est que les choses soient réellement ce qu’elles semblent être

et qu’il n’y ait rien à comprendre.


Oui, voici ce que mes sens ont appris tout seuls :

les choses n’ont pas de signification : elles ont de l'existence.

Les choses sont l’unique sens occulte des choses.



O mistério das coisas, onde está ele?

Onde está ele que não aparece

Pelo menos a mostrar-nos que é mistério?

Que sabe o rio e que sabe a árvore

E eu, que não sou mais do que eles, que sei disso?

Sempre que olho para as coisas e penso no que os homens pensam delas,

Rio como um regato que soa fresco numa pedra.


Porque o único sentido oculto das coisas

É elas não terem sentido oculto nenhum,

É mais estranho do que todas as estranhezas

E do que os sonhos de todos os poetas

E os pensamentos de todos os filósofos,

Que as coisas sejam realmente o que parecem ser

E não haja nada que compreender.


Sim, eis o que os meus sentidos aprenderam sozinhos: —

As coisas não têm significação: têm existência.

As coisas são o único sentido oculto das coisas.



Queneau, Chêne et chien : Le Soleil


L’herbe : sur l’herbe je n’ai rien à dire

mais encore quels sont ces bruits

ces bruits du jour et de la nuit

Le vent : sur le vent je n’ai rien à dire


Le chêne : sur le chêne je n’ai rien à dire

mais qui donc chantonne à minuit

qui donc grignote un pied du lit

Le rat : sur le rat je n’ai rien à dire


Le sable : sur le sable je n’ai rien à dire

mais qu’est-ce qui grince ? c’est l’huis

qui donc halète ? sinon lui

Le roc : sur le roc je n’ai rien à dire


L’étoile : sur l’étoile je n’ai rien à dire

c’est un son aigre comme un fruit

c’est un murmure qu’on poursuit

La lune : sur la lune je n’ai rien à dire


Le chien : sur le chien je n’ai rien à dire

c’est un soupir et c’est un cri

c’est un spasme un charivari

La ville : sur la ville je n’ai rien à dire


Le coeur : sur le coeur je n’ai rien à dire

du silence à jamais détruit

le sourd balaye les débris

Le soleil : ô monstre, ô Gorgone, ô Méduse

ô soleil.