Pessoa [Alberto Caeiro], Le gardeur de troupeaux XLII Poèmes païens, Seuil p. 59 :
Le mystère des choses, où est-il ?
Où est-il, puisqu'il ne se montre pas.
Serait-ce pour nous montrer qu’il est mystère ?
Qu’en sait le fleuve et qu’en sait l’arbre ?
Et moi, qui ne suis pas plus qu’eux, qu'est-ce que j'en sais ?
Chaque fois que je regarde les choses et pense à ce que les hommes pensent d’elles,
Je ris comme un ruisseau qui bruit frais sur une pierre.
Car l’unique sens occulte des choses,
Est qu’elles n'ont pas de sens occulte du tout.
Ce qui est plus étrange que toutes les étrangetés
et que les rêves de tous les poètes
et les pensées de tous les philosophes,
C'est que les choses soient réellement ce qu’elles semblent être
et qu’il n’y ait rien à comprendre.
Oui, voici ce que mes sens ont appris tout seuls :
les choses n’ont pas de signification : elles ont de l'existence.
Les choses sont l’unique sens occulte des choses.
O mistério das coisas, onde está ele?
Onde está ele que não aparece
Pelo menos a mostrar-nos que é mistério?
Que sabe o rio e que sabe a árvore
E eu, que não sou mais do que eles, que sei disso?
Sempre que olho para as coisas e penso no que os homens pensam delas,
Rio como um regato que soa fresco numa pedra.
Porque o único sentido oculto das coisas
É elas não terem sentido oculto nenhum,
É mais estranho do que todas as estranhezas
E do que os sonhos de todos os poetas
E os pensamentos de todos os filósofos,
Que as coisas sejam realmente o que parecem ser
E não haja nada que compreender.
Sim, eis o que os meus sentidos aprenderam sozinhos: —
As coisas não têm significação: têm existência.
As coisas são o único sentido oculto das coisas.
Queneau, Chêne et chien : Le Soleil
L’herbe : sur l’herbe je n’ai rien à dire
mais encore quels sont ces bruits
ces bruits du jour et de la nuit
Le vent : sur le vent je n’ai rien à dire
Le chêne : sur le chêne je n’ai rien à dire
mais qui donc chantonne à minuit
qui donc grignote un pied du lit
Le rat : sur le rat je n’ai rien à dire
Le sable : sur le sable je n’ai rien à dire
mais qu’est-ce qui grince ? c’est l’huis
qui donc halète ? sinon lui
Le roc : sur le roc je n’ai rien à dire
L’étoile : sur l’étoile je n’ai rien à dire
c’est un son aigre comme un fruit
c’est un murmure qu’on poursuit
La lune : sur la lune je n’ai rien à dire
Le chien : sur le chien je n’ai rien à dire
c’est un soupir et c’est un cri
c’est un spasme un charivari
La ville : sur la ville je n’ai rien à dire
Le coeur : sur le coeur je n’ai rien à dire
du silence à jamais détruit
le sourd balaye les débris
Le soleil : ô monstre, ô Gorgone, ô Méduse
ô soleil.