Hrabal, Les Imposteurs (Et dignement, s'il vous plaît) p. 215-216 :
”Ma mère […] aimait manger. Quand elle avait découpé sa perdrix et qu'elle prenait la première bouchée, brusquement elle se levait et se mettait à crier, elle s'élançait dans la cour, la sillonnait au pas de course en lançant des cris au ciel, les invités avaient peur qu'elle n'ait avalé un os de travers, mais à la troisième perdrix, quand ils avaient compris que c'était l'action de grâces que maman rendait pour l'excellence de sa perdrix, ils riaient, debout à la fenêtre, entre les doigts une perdrix rôtie qu'ils rongeaient, et ils étaient aussi heureux que ma mère qui, de nouveau assise à table, rongeait la viande, trempait des petits morceaux de perdrix dans le jus et se pourléchait comme une gamine. Tout ça parce qu'elle aimait manger, mais surtout parce qu'elle aimait faire du théâtre, pas seulement sur la scène d'amateurs de notre petite ville, mais aussi comme ça, dans la vie, elle était même incapable de vivre sans théâtre. Et mon père le savait, il rongeait son frein sans cesse, il ne disait rien, comme moi, du reste il n'y avait rien à faire parce que maman avait ça dans le sang, et finalement, si maman n'avait pas été comme elle était, la maison aurait été bien triste vu que papa passait son temps à lire Le Magasin dévoré et qu'il n'y avait pas moyen de le persuader que le malheureux marchand de farine n'était pas lui. Quand elle buvait de la bière, ma mère tenait son verre d'une main et elle faisait contrepoids de son autre main rejetée en arrière, elle ressemblait à une publicité pour une bonne bière, mais c'était encore trop peu pour elle. Lorsqu'elle avait bu la moitié de son demi, brusquement elle sautait sur ses pieds, posait son verre et s'élançait à nouveau dans la cour en glapissant et en lançant des cris au ciel pour dire comme elle trouvait délectable cette boisson, puis elle cavalait dans la maison, s'asseyait à table et frappait du poing sur la nappe jusqu'à ce qu'elle ait fini son verre. Parfois, quand il pleuvait et que ma mère trouvait bonnes la nourriture et la bière, elle se levait et nous donnait, à mon père et à moi, de grandes bourrades dans le dos comme si nous avions un os en travers de la gorge, elle donnait de ces bourrades aux invités et tout le monde riait, jusqu'au moment où de la nourriture ou de la bière finissaient par s'introduire dans la trachée, alors ma mère était obligée de marteler de grandes bourrades le dos de ses invités jusqu'à ce que la nourriture jaillisse de leurs lèvres éructantes.”