lundi 1 février 2021

Schmitt (E.E.) etc. (piano)

[... suppléments à un séminaire de 2018 sur les substituts du paradis amniotique perdu…]

 Schmitt (E.-E.), Madame Pylinska et le secret de Chopin :

« – Couchez-vous sous le piano.

– Pardon ?

– Couchez-vous sous le piano.

Elle me désigna le tapis persan déployé sous son Pleyel à queue.

Puisque j’hésitais, elle ajouta :

– Vous craignez les acariens ? Vu votre carrure, ce sont eux qui devraient se méfier…

Je m’accroupis, me glissai sous le piano et entrepris de ramper.

– Sur le dos ! »

Je m’allongeai, le visage face à la table d’harmonie.

– Les bras en croix. Paumes au sol.

J’obéis. Un matou à la fourrure fauve se faufila dans la pièce, sauta sur un pouf et s’y carra en m’adressant un regard ironique.

Madame Pylinska s’assit devant le clavier.

– Concentrez-vous sur votre peau. Oui, votre peau. Votre peau partout. Rendez-la perméable. Chopin a débuté ainsi. Il s’étendait sous le piano de sa mère et ressentait les vibrations. La musique, c’est d’abord une expérience physique. Puisque les avares n’écoutent qu’avec leurs oreilles, montrez-vous prodigue : écoutez avec votre corps entier.

Elle joua.

Comme elle avait raison ! La musique me frôlait, me léchait, me piquait, me pétrissait, me malaxait, me ballottait, me soulevait, m’assommait, me brutalisait, m’exténuait, les basses me secouant comme si je chevauchais une cloche d’église, les aigus pleuvant sur moi, gouttes froides, gouttes chaudes, gouttes tièdes, lourdes ou ténues, en rafales, en ondées, en filets, tandis que le médium onctueux me recouvrait le buste, tel un molleton rassurant au sein duquel je me blottissais. »


cf.

Cabanès, Névropathes (1930-1935) : « Dès l’âge de quatre ou cinq ans, a relaté son neveu, le petit Fritz, comme on l’appelait, avait pris l’habitude de se coucher au pied du piano quand sa mère jouait et de tout son long étendu sur le dos, religieusement il écoutait ; le morceau terminé, ses mains fluettes se posaient sur le clavecin et il reproduisait presque sans tâtonner ce qu’il venait d’entendre. »

Zielinski, Chopin (1998) p. 28 : « pour écouter sa mère au piano, il s’installait volontiers sous l’instrument »