Vallès, Le Bachelier (avant-dernier chapitre : ‘Le duel’) :
« C’est devenu terrible ! Dans cette chambre à deux lits éclatent de véritables tempêtes.
C'est trop petit pour nous trois, Legrand, Vingtras et la Misère. - La gueuse! Elle nous fait nous heurter et nous blesser à chaque minute, devant les grabats, les chenets, la table boiteuse.
Nous en sommes arrivés presque à la haine. Elle n'est pas encore sur les lèvres, elle est déjà dans les yeux. - Nous nous insultons du regard pour une porte ouverte, une fenêtre fermée, une chandelle trop tard éteinte : essayant en vain de nous cacher l'un à l'autre ou de nous cacher à nous-mêmes le dégoût et la fureur que nous avons de cette promiscuité.
C'est comme un mariage de bagne, entre forçats jaloux !
Il nous est défendu d'avoir une maîtresse, et nous sommes condamnés à la chasteté.
Si une femme entrait, l'autre devrait partir. Il fait froid dehors ; puis cela viendrait peut-être juste au moment où l'on était bien en train : jamais l'inspiration n'avait été meilleure. - Quel supplice!
Notre envie de travail même est dévorée par cette lutte sourde.
Il y a des moments où, bâtis comme nous sommes, nous nous tirerions dessus si nous avions un pistolet sous la main.
[…] Un soir, Legrand m'a souffleté - pour je ne sais quoi! Je ne le lui ai jamais demandé ; je ne le lui demanderai jamais !
C'est à propos d'une femme, peut-être.
Qu'importe le prétexte !
C'est la goutte de lait qui a fait déborder le vase : je devrais dire la larme amère qui est restée au bout de nos cils pendant nos années de tête-à-tête.
[…] Notre appartement était trop petit pour nos deux volontés […]
Je songe encore une fois au long accouplement forcé dans la solitude, l'obscurité et la peine. […] »